Après quatre années d’enquête en France et au Vietnam, Pierre Daum a publié aux éditions Actes Sud Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952). L’ouvrage est sorti le 20 mai 2009, avec une préface de l’historien Gilles Manceron.
3 questions à …Pierre Daum :
1. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à travailler sur ce sujet?
Ce fut vraiment le hasard. Journaliste à Libération, j’ai été envoyé couvrir l’occupation de l’usine Lustucru à Arles par ses salariés qui refusaient la fermeture de leur outil de travail. J’ai rencontré des producteurs de riz, puis j’ai visité le petit musée du riz de Robert Bon, au Sambuc. Là, je tombe sur un panneau expliquant que les premiers à avoir fait pousser le riz de Camargue tel que nous le connaissons et le consommons étaient des Indochinois venus en France pendant la Deuxième guerre mondiale.
À partir de là, j’ai déroulé tout le fil de ces 20 000 paysans vietnamiens arrachés de leur village en 1939, embarqués au fond des cales de bateau, débarqués à Marseille à la prison des Baumettes, puis envoyés dans toute la France pour travailler comme ouvrier dans les usines d’armement, à l’arrière du front. En juin 1940, avec la Défaite, ces usines s’arrêtent. 5000 d’entre ces hommes sont rapatriés, mais 15000 restent bloqués en Métropole pour toute la durée du conflit mondial, et même au-delà. Ils sont alors parqués dans des camps à travers tout le grand sud de la France, et leur force de travail est louée par l’administration française à des entreprises privées, à des communes (travaux de voiries, travaux forestiers), à des exploitants agricoles, etc… C’est ainsi que 1500 d’entre eux se retrouveront en Camargue, 500 pour faire pousser du riz, et un millier pour travailler le sel autour de Salin de Giraud.
2. Vous avez pendant plus de 3 ans effectué un vrai de travail de recherches et d'enquêtes à Paris, à Marseille mais aussi à Hanoi et dans tout le Vietnam. Vous avez d'ailleurs réussi à retrouver 25 des derniers acteurs encore vivants de cette période sombre de l'histoire coloniale française. 11 en France, et 14 au Vietnam. Pouvez-vous nous dire quelles ont été leurs réactions sur votre travail et comment ils réagissent à l'annonce d'une cérémonie officielle sur Arles?
Mon objectif était en effet de recueillir le témoignage de ces hommes, les derniers encore vivants, avant qu’il ne soit trop tard. Et consigner cette source orale d’une page d’histoire jusqu’ici ignorée, afin que les générations futures d’historiens puissent en disposer. Or, avant que je vienne sonner à leur porte, ces hommes pensaient quitter ce monde en emportant avec eux leur histoire.
Une histoire qu’ils gardaient dans leur cœur et dans leur mémoire, sans personne pour la recueillir. D’où, dans la plupart des cas, ce véritable bonheur que j’ai ressenti chez mes interlocuteurs lorsque je suis venu leur demander de me raconter leur histoire. Un bonheur redoublé lorsque je leur ai envoyé l’exemplaire de mon livre. Quant je leur ai annoncé la décision du maire d’Arles d’organiser une cérémonie officielle en leur honneur, pour eux, ce fut l’apothéose ! Et leur état d’esprit est très clair : depuis 70 ans, ils n’ont jamais attendu ni excuses ni indemnisations d’aucune sorte. La seule chose qu’ils désiraient, c’étaient la reconnaissance. Tout simplement. Que leur histoire, et leurs souffrances, soit enfin reconnues. La reconnaissance par un livre imprimé, d’abord. Puis la reconnaissance par la France officielle, à travers la voix d’un élu de la République.
3. Renvoyés vers le Viêtnam au compte-gouttes à partir de 1946, ce n’est qu’en 1952 que les derniers de ces hommes purent enfin revoir leur patrie. Un millier fit le choix de rester en France. La ville d'Arles va rendre un hommage officiel aux travailleurs indochinois. Ce sera d'ailleurs la première ville de l'hexagone à rendre un tel hommage. Comment expliquer le peu d’engouement des élus sur ce sujet?
Sur les pages sombres du passé de la France, il existe toujours un décalage entre les travaux des historiens et la position de la France officielle. Dans la plupart des cas, les faits sont connus, les historiens ont effectués des recherches. Mais avant que ces faits fassent l’objet d’une reconnaissance officielle, il peut se passer des décennies ! Regarder l’exemple les rafles de Juifs en France, en 1942. Il a fallu attendre plus d’un demi-siècle avant que Jacques Chirac, président de la République, prononce en 1995 son fameux discours au Vel d’Hiv. Quant aux massacres d’Algériens à Sétif et à Guelma en 1945, ou les massacres de Malgaches en 1948, les faits sont parfaitement connus, mais aucun élu de la République n’accepte de les reconnaître.
Et pourtant, ce serait si simple ! Il suffit d’un discours… Dans ce contexte, on ne peut que saluer la formidable initiative du maire d’Arles, Hervé Schiavetti. Lorsqu’il prononcera son discours, le 10 décembre dans la salle des Honneurs de la mairie d’Arles, il sera le premier élu de la République française à reconnaître officiellement le sort que la France a réservé aux Travailleurs indochinois. Puisse son initiative servir d’exemple pour tous les maires du sud de la France, élus de communes dans lesquelles furent bâtis les plus grands camps de travailleurs indochinois, dont certains regroupèrent jusqu’à 4000 hommes: Marseille, Sorgues, Agde, Toulouse, Bergerac et Vénissieux. Puis, un jour, un ministre prononcera un discours, avant, peut-être, le président de la République…
Interview publiée sur le blog de Nicolas Koukas, adjoint au maire d’Arles.