Immigrés de force

Les travailleurs indochinois de la seconde guerre mondiale

Vu Quôc Phan

Vu Quôc Phan

64ème compagnie
Matricule ZTW 606
85 ans au moment de l’interview
Recruté comme interprète
Décédé en France en 2012

Rencontré chez lui à Paris, dans le 13ème arrondissement

 

Vu Quôc Phan est le premier ancien ONS que j’ai rencontré. C’était en 2005, alors que je préparais mon article sur les origines oubliées du riz en Camargue. J’étais allé à Paris chez lui, et le vieil homme m’avait très aimablement reçu. Malheureusement, j’avais oublié mon magnétophone. Lorsque j’ai pris la décision d’écrire ce livre, je savais qu’il fallait que je le revoie. Car M. Vu, en tant qu’ancien secrétaire particulier du responsable de la division indochinoise Francis Toudet, avait occupé une position tout à fait exceptionnelle au sein de la direction de la M.O.I. J’avais des questions très précises à lui poser, concernant notamment les liens entre la M.O.I. et les entreprises publiques ou privées qui sollicitaient de la main d’œuvre. Ainsi que le mode de rémunération des ONS vietnamiens. Deux ans après notre première rencontre, je l’appelai à nouveau. Très inquiet, je dois l’avouer, que son état de santé ait fortement décliné. Ou même qu’il soit mort. Mes craintes étaient inutiles. Vu Quôc Phan se portait à merveille, et nous nous revîmes le 21 décembre 2007, puis à nouveau une semaine plus tard. Cette fois-ci, avec magnétophone.

Vu Quôc Phan est né le 11 novembre 1920 à Hanoï. Issu d’une famille aisée, il fréquente le même lycée que Pham Van Nhân. Les deux garçons pratiquent le sport dans une petite salle de gymnastique installée dans la villa des parents de Phan. Titulaire du certificat d’études primaires, il s’engage dans la M.O.I. comme surveillant. Il débarque à Marseille à bord du Minh le 18 avril 1940. Direction : poudrerie de Roanne. En avril 1941, il est remarqué par Francis Toudet, lors d’une tournée d’inspection à travers les camps. Toudet lui propose de devenir son secrétaire à Vichy. Il devient très exactement adjoint au chef de la section d’état civil. Dans les faits, il s’occupe un peu de tout : contacts avec les entreprises sollicitant de la main d’œuvre, déplacements des ONS, paiements, épargne déposée sur le compte dépôt piastres, et ouverture des nombreuses lettres dans lesquelles ses compatriotes se plaignent des mauvais traitements qu’ils subissent dans les camps. Vu Quôc Phan se veut « le plus juste possible ». Il peut même avoir tendance à minimiser les souffrances de ses compatriotes. Il voue une réelle affection pour son chef.

Monsieur Toudet était très honnête, et très humain. Sa réputation était connue dans la M.O.I. : c’était un père pour nous. J’ai encore le contact avec le neveu du commandant Toudet : Jacques Bonnemaison, à Carcassonne. On jouait au ping-pong ensemble. Il est devenu officier de la marine. 

Dans le même temps, Vu Quôc Phan s’organise pour faire venir à Vichy quelques ONS en butte avec le commandement de leur camp. Phan est démobilisé le 12 novembre 1945. Il suit une formation d’électricien, et démarre alors une très belle carrière dans les services techniques de la télévision, puis de la radio.

Après 1945 : j’ai été un pionnier. C’est moi qui ai mis le service technique d’Europe 1 en route ! J’ai commencé comme technicien à l’ORTF. En 1954, Henri de France, le père du système SECAM, m’a téléphoné et m’a proposé de venir le rejoindre pour démarrer Europe 1. J’y ai été contrôleur des services techniques.

Je suis resté Vietnamien jusqu’en 1975. Puis j’ai du choisir, car la double nationalité n’existait pas. Je me suis marié avec une Vietnamienne (de père et de mère) que j’ai rencontrée en France. Son père était venu comme commerçant, restaurateur. Je suis retourné au Vietnam pour la première fois en 1982. Puis six fois depuis.